Quand on me demande des nouvelles du pays, je ne sais plus que répondre. La peste ? Hier, j’ai vu un couple d’expatriés, se promenant tranquillement à Isoraka, avec leur bébé à l’air libre : il est vrai qu’il n’y a guère qu’Air Seychelles qui ait suspendu ses vols vers Madagascar ; que l’opposition mauricienne qui veuille instaurer un principe de précaution ; que les syndicats des navigants d’Air France qui aient fait mine de s’inquiéter. Dans les agences bancaires, les numéros d’appel s’égrènent du matin au soir sans que les clients aient l’air de craindre particulièrement la promiscuité dans la file d’attente. Les temples et les églises ne désemplissent jamais : je suppose que les croyants préfèrent leur foi en la sainte écriture de Dieu et au saint prêche du pasteur plutôt que les recommandations du ministre de la santé et les indications antibiotiques.
Bien sûr, il y a cette comptabilité macabre dont la population semble avoir simplement pris l’habitude, passé le scandale des premiers temps d’opacité dans la communicaton gouvernementale. La presse se fait, de temps en temps, écho de comportements archaïques : un cadavre infecté que la famille aurait exhumé de sa chape de béton pour le trimbaler depuis le Nord-Est du pays dans le but inavouable de le convoyer vers le tombeau ancestral dans le Sud-Est : les limiers qui montent la garde le long de nos routes nationales, pas plus qu’ils ne savent reconnaître un bus de 90 places avec 140 passagers à bord, pas plus qu’ils ne savent arrêter un semi-remorque qui va faire plier un pont sous sa surcharge aux essieux, oublient consciencieusement de contrôler chaque cercueil que les taxis-brousse transbahutent d’un bout à l’autre du pays, au prétexte de «fasan-drazana».
Ou encore cette famille, en milieu urbain tananarivien pourtant, qui s’oppose à l’inhumation d’office en fosse commune d’une proche décédée de la maladie. Les forces de l’ordre ont dû intervenir. Mais, policiers et gendarmes ne peuvent raisonnablement pas monter la garde devant chaque cadavre : quelque part, l’éducation aura failli. Je me demande si la société ne devrait pas sévir : quoi de pire qu’un bannissement social héréditaire dans ce pays ?
Quelles sont les causes de cet endémisme trop contemporain d’une maladie moyenâgeuse ? Bien sûr, cette saleté qui s’est installée dans les moeurs, et particulièrement honteuse dans nos rues. Ce sont les hommes qui ne ramassent pas les ordures, mais ce sont les rats qu’on incrimine. Comme dit, pourtant, un sage proverbe : on ne peut pas demander au sanglier de ne pas se comporter en porc. Par contre, on peut raisonnablement supposer un comportement humain poliçable, perfectible, civilisable.
Les rats, me raconte-t-on, s’infiltrent également dans nos tombeaux. Supposons un cadavre pestiféré enterré là en catimini par une famille sourde et aveugle aux prescriptions sanitaires. Une fois de plus, un comportement humain répréhensible aurait contaminé d’innocents rongeurs qui suivent simplement leur nature. Et quand ce ne sont pas les rats, supposons des pilleurs de tombe en quête de nos sacro-saints «taolam-balo» : ces criminels, outre le viol de sépulture, sont également passibles de recel de peste.
Alors, des nouvelles du pays ? Aucune nouvelle encore d’une éventuelle loi de rétablissement de la peine de mort contre, outre les crimes abominables (kidnapping, viol, torture, mutilation, meurtre) qui fleurissent à la rubrique des faits divers, les recels divers et variés des bactéries qui peuvent génocider une société. Aucune avancée perceptible sur le front du changement de mentalité : renoncer purement et simplement à la coutume de l’inhumation et lui préférer l’incinération dans les règles modernes de l’art. Sinon, revenir à l’ancienne pratique oubliée de la tombe individuelle, avant la création de ces «fasan-drazana» où s’entassent plusieurs générations : «velona iray trano, maty iray fasana», cohabitant dans la maison des vivants, à jamais côte-à-côte dans la dernière demeure des morts. Les tombes familiales s’ouvrent dangereusement une fois de trop, risquant de ressusciter quelque maladie fantôme. Ce n’est pas demain non plus que tant de familles renonceront au sacro-saint «famadihana», la coutume des deuxièmes funérailles comme disent les anthropologues. Elle nous vient de l’Asie du Sud-Est, mais l’austronésophile que je suis n’y souscrit pas : laissons les «Razana» dormir en paix, et veillons plutôt à ne pas suicider les «Zanaka».
Par Nasolo-Valiavo Andriamihaja