Contre la variole, en son temps, 1793-1810, Andrianampoinimerina fut sévère contre les varioleux et les personnes contacts : interdiction d’accès au caveau des ancêtres et isolement complet dans la brousse pendant de longues semaines. Contre la peste, en 2017, la population accepterait-elle une prophylaxie stricte : isolement en lazaret de toutes les personnes exposées, interdiction de l’inhumation dans le caveau familial, impossibilité de tout «famadihana» dans le futur !
La psychose provoquée par l’annonce du retour de la peste doit plonger ses racines, non dans les récits lointains de l’épidémie de peste dans l’Europe du Moyen-âge, mais dans le traumatisme causé par la «grippe espagnole», qui parvint à Madagascar en 1919 : un paquebot venant de La Réunion et en route vers la France, débarque à Diégo-Suarez, deux gendarmes contaminés qui succombent quelques heures après. Combien de milliers de Malgaches succombèrent par la suite ?
La peste fait son apparition à Tananarive en juillet 1921 : ce fut Justin Rajaobelina, alors médecin résident à Ankadinandriana, qui a vu une lame suspecte colorée par la méthode Gram (cf. Paul Radaody-Ralarosy, «À une croisée des chemins : le docteur Gershon Ramisiray (1873-1930) et sa thèse (Paris, 1901) sur les pratiques et croyances médicales des Malgaches», Bulletin de l’Académie Malgache, ns, tome 67/1-2, p.100).
Mais, ce sont les travaux conjoints, étalés sur trois décennies, des médecins Georges Girard (directeur de l’Institut Pasteur de Tananarive de 1922 à 1939) et Jean Robic (arrivé à Madagascar en 1926, directeur de l’Institut Pasteur en 1940, quitte Madagascar en 1953) qui apportèrent une contribution « malgache» (notons que l’éradication de la variole est qualifiée par le Dr. Girard comme «le succès le plus marquant de l’oeuvre sanitaire de la France à Madagascar») à la lutte mondiale contre la peste en mettant au point le vaccin EV : des initiales du petit pesteux sur lequel les docteurs Girard et Robic l’avaient isolée, en 1926.
Les travaux de ces deux «Prix Nobel» méconnus ne sont sans doute pas négligeables alors que, comme ils l’avaient prévu, la peste réapparaît de manière saisonnière : «un territoire qui demeure, pour une durée imprévisible, et que seule la Nature est en mesure de fixer, un foyer d’endémie pesteuse» (Dr Girard) ; «c’est l’incidence du climat qui provoque la réapparition de la poussée épidémique annuelle. Celle-ci prend naissance avec le retour de la saison chaude et pluvieuse» (Dr. Robic).
EXTRAITS DE L’ARTICLE DE GEORGES GIRARD, «LA SANTÉ PUBLIQUE ET SES PROBLÈMES À MADAGASCAR ENTRE LES DEUX GUERRES MONDIALES», BULLETIN DE L’ACADÉMIE MALGACHE, 1964, TOME XLII-2, PP.1-17
Nous sommes en 1923. La peste frappe sévèrement au coeur du pays depuis 2 ans et s’étend bientôt à toute l’Emyrne qu’elle débordera ultérieurement. Le Gouverneur Général Marcel Olivier entreprendra une oeuvre de politique sociale dans laquelle les problèmes de santé publique figureront au premier plan. Un laboratoire spécialement réservé à l’étude de la peste est construit en 1924 à l’Institut Pasteur. En 1928, l’Institut sera érigé en filiale directe de l’Institut Pasteur de Paris.
L’ambition du Dr Fontoynont de voir enfin réaliser la construction d’un hôpital d’instruction et de son annexe, l’École de Médecine, dignes de ce nom, est satisfaite en 1927, année de l’inauguration de l’hôpital de Befelatanana. Un lazaret modèle est aménagé dans la proche banlieue de Tananarive (NDLR : Ambohimiandra en 1930). L’hôpital des enfants dont les Dames de la Croix Rouge assurent le fonctionnement, va, dès 1924, recevoir les aménagements indispensables. La fréquence des maladies vénériennes et surtout de la syphilis, acquise ou héréditaire, a demandé la création d’un dispensaire spécial modestement installé à Analakely, mais bientôt il sera intégré dans un grand Institut d’Hygiène sociale.
L’apparition de la peste sur les Hauts Plateaux domine la période 1921-1940 : elle y était jusqu’alors inconnue malgré plusieurs manifestations antérieures à Tamatave, Diégo, Majunga, entre les années 1899 et 1921. L’explosion soudaine en juin 1921 d’une épidemie de peste pulmonaire à Tananarive, à contagion interhumaine, faisant disparaître en deux ou trois semaines les cinquante membres d’une même famille, jeta la consternation. La menace exigea, avant tout, l’isolement de toutes les personnes contacts, l’interdiction de toute cérémonie funéraire, bref une profonde atteinte à des coutumes respectables, certes, mais incompatibles avec les exigences de la prophylaxie.
La découverte, après six ans d’investigations d’un nouveau vaccin, le virus-vaccin EV, améliora rapidement la situation : de 3600 décès en 1935, le chiffre tombait à moins de 500 en 1940 (à partir de 1952, il est resté au-dessous de la centaine par an). La décennie (des années 1960) allait connaître, avec l’antibiothérapie et la désinsectisation par le DDT, une transformation complète de la situation. La peste n’était bientôt plus un problème aigu de santé publique (…)
EXTRAITS DE L’ARTICLE DE JEAN ROBIC, «TRENTE ANNÉES DE LUTTE CONTRE LA PESTE À MADAGASCAR», BULLETIN DE L’ACADÉMIE MALGACHE, 1954, NUMÉRO SPÉCIAL DU CINQUANTENAIRE, PP.139-154
La peste est la seule des maladies dites pestilentielles existant à Madagascar. (Elle) se manifeste sur les Hauts Plateaux sous des formes cliniques d’une extrême gravité. La plus fréquemment observée est la forme bubonique, inoculée à l’homme par la puce du rat, évoluant toujours rapidement et tuant en trois jours, après une phase septicémique terminale. Les complications pulmonaires sont fréquentes. La maladie devient alors directement contagieuse d’homme à homme, la contamination s’effectuant par les crachats sanglants de la pneumonie pesteuse.
La peste fut importée à Madagascar au cours de la grande pandémie de 1898, qui toucha les ports de Tamatave, Majunga, Diégo, en même temps que les autres ports de l’Océan Indien, Port-Louis à Maurice, Saint-Denis à La Réunion, Durban en Afrique du Sud. En 1922, la peste fait son apparition à Tananarive, avec 46 cas tous mortels. En quelques années, la peste atteignait les districts les plus proches de Tananarive : Moramanga, Miarinarivo, Ambatolampy, Antsirabe, Ambositra, et plus tard, s’étendant plus au Sud, à Fianarantsoa jusqu’à Ambalavao, et plus au Nord, vers le lac Alaotra, et par cette voie, jusqu’à Maevatanana. Actuellement, elle persiste à l’état endémo-épidémique sur toute l’étendue des Hauts-Plateaux. À Madagascar, la peste est surtout rurale.
L’endémie pesteuse sur les Hauts Plateaux est caractérisée par son allure cyclique annuelle, avec un minimum correspondant aux mois de juin et juillet, le maximum étant situé pendant la période qui s’étend entre le 1er décembre et le 31 mars. Entre les mois d’avril et d’octobre, règne une période de latence, où l’infection semble en sommeil, mais jamais complètement éteinte. La situation à Madagascar est, en tous points, comparable à celle observée en Afrique du Sud, en Malaisie, notamment à Java, et dans l’Ouest des États-Unis : l’introduction par voie maritime, puis l’invasion de l’intérieur du pays où persistent indéfiniment des foyers épidémiques et enzootiques, tandis que l’infection a disparu des ports d’importation. Les recherches ont confirmé que la puce du rat vivait aisément et persistait, à l’état libre, toute l’année, dans les poussières des cases, et notamment l’ampombo malgache, où les conditions de température et d’humidité, à l’abri de la ventilation, lui conviennent parfaitement. À la région côtière, la température est trop élevée et défavorable à la vitalité de cette puce.
La contagiosité reste limitée à l’entourage immédiat du pesteux. Seuls, ont été contaminés ceux qui avaient manipulé les cadavres. Sont particulièrement exposés ceux qui ont participé à l’ensevelissement dans le lamba traditionnel. Le lavage des linges, après décès, est noté comme une cause fréquente de contamination chez les lavandières. Sur le cadavre, le bacille pesteux disparaît assez vite de tous les organes, sous l’influence des germes de putréfaction. Au contraire, il persiste, avec toute sa virulence, dans les crachats sanglants dont restent imprégnés, longtemps après dessication, les linges qui ont été souillés. C’est le danger que présentent les cérémonies du retournement des morts dans le tombeau familial.
Par Nasolo-Valiavo Andriamihaja