a nuit des idées» : «C’est à croire que les nuits sont plus belles que nos jours. Qu’elles sont propices aux pensées chuchotées, aux manifestes proclamés, aux savants apartés. Que les nocturnes favorisent les dialogues impromptus, les sages exposés ou les idées déjantées. Et que le public averti aime déambuler dans les palais dorés ou les friches aménagées, les librairies ou les musées»…Ce texte évocateur figurait dans Le Monde du 25 janvier 2018, en prélude à la «Nuit des Idées».
Nombre d’évènements festifs nocturnes, d’invention parisienne, rythment, désormais, l’agenda de plusieurs autres villes, françaises, européennes, malgaches… La «Fête de la Musique», officialisée par le ministre français Jack Lang en 1982, est l’occasion de concerts gratuits en plein air, le jour du solstice d’été, c’est-à-dire de la nuit la plus courte (en France, en Europe et dans l’hémisphère Nord, mais pas à Madagascar) ; durant la «Nuit Blanche», que la Ville de Paris organise le premier samedi d’octobre depuis 2002, des milliers de visiteurs déambulent librement dans les rues, allant d’une manifestation culturelle gratuite à une exposition en entrée tout aussi libre ; ou encore la «Nuit des Musées», créée par le Ministère français de la Culture en 2005, que, malheureusement, il serait problématique de dupliquer dans un pays n’ayant pas de musée : ah, si les anciens cinémas Rex, Ritz, Roxy, Rio, Ako, n’étaient pas devenus des églises, plutôt que des bibliothèques, des musées…des cinémas.
Paris, la «Ville-Lumière», elle, ne craint pas la nuit ! Ce qui n’est pas le cas d’Antananarivo. La dernière édition de la «Nuit des idées», reprise d’une idée lancée par l’Institut Français, s’était partagée entre l’Institut Français de Madagascar («Dessine-moi une Ville») et l’Alliance Française d’Antananarivo («Repenser notre Ville») : mais, sur les deux sites, «l’imagination au pouvoir» a axé ses utopies bien réelles sur l’urbanisme tananarivien : un «urbanisme tenant compte de son histoire, de ses caractéristiques, du souhait et des besoins de ses habitants».
Nous avons clairement mal à notre ville, Antananarivo. Une malédiction capitale. Si Antananarivo n’avait pas été la Capitale, jamais le Rova d’Antananarivo n’aurait été incendié en 1995, ni le palais d’Andafiavaratra brûlé, en 1976 : chaque fois, pour de basses manoeuvres politiciennes. Ni la plaine du Betsimitatatra ou les eaux de Laniera remblayées inconsidérément par des promoteurs immobiliers qui résidentialisent à outrance Antananarivo la rendant, chaque fois, un peu moins habitable. Ni la démographie devenue aussi galopante et exponentielle pour une Ville qui devait rester symbole, littérallement, la-ville-aux-mille-villages/la-ville-au-milieu. Ni des clivages de type ghetto (les deux quartiers des «67 hectares» et de la Cité Ambohipo, cette dernière phagocytée par une cité universitaire devenue hors de contrôle et qui n’a plus d’universitaire que le nom) menacer un développement qui aurait pu continuer de courir sur une erre plus tranquille, à lui propre, pour ainsi dire plus naturelle.
Cette «malédiciton capitale» de l’Antananarivo historique empiète désormais, sur le Grand Tana proprement des douze collines. Voilà une vingtaine d’années, un conflit avait opposé le Ministère de l’Aménagement aux natifs du clan Andriandranando, à propos du lotissement immobilier sur la colline-nécropole d’Ambohimailala. Actuellement, et les annonces dans les journaux, sinon les récriminations qui remontent des «tanindrazana», en font foi, les projets immobiliers périphériques (Alasora, Imerimanjaka, Ambohidratrimo, Ilafy, Rangaina, Soavina, Fenoarivo, etc.) vantent tous la désormais proximité automobile avec le centre d’Antananarivo : une durée à vol d’oiseau qui ne tient nullement compte de la circulation au pas dans les interminables embouteillages…
Embouteillages de jour, désert la nuit… À Bruxelles (Belgique), «Designer le futur» avait commencé à 18 heures 45 ; à Malaga (Espagne), «Kaliopolis vs. Utopia» à 18 h 30 ; à Milan (Italie), «Inventer la Ville», 20 h 30 ; à Alexandrie (Égypte), «L’imagination et la radicalisation», à 19 h ; à Addis-Abeba (Éthiopie), «Addis 2100», à 18 h 30 ; à Mexico (Mexique), «Mondes imaginaires», 20 h 30 ; à Jakarta (Indonésie), «L’imagination au pouvoir et pouvoir de l’imagination», à 19 h… Même à Port-Louis (île Maurice), «La Créativité au coeur de la société» était programmée à 19 heures !
À Antananarivo, on s’était dépêché de tenir les conférences et les expositions de jour. L’utopie, d’accord, mais la réalité est encore à l’absence d’éclairage public. C’est très simple : Antananarivo by night ne brille que par la devanture des restaurants ou l’enseigne des stations-service 24/24 ! Cette contradiction entre «Nuit» tenue de «Jour» illustre la réalité kafkaïenne de notre Ville.
Par Nasolo-Valiavo Andriamihaja